Ce soir-là, au cours de la méditation qui a suivi cet
Entretien, a eu lieu ce que Mère a appelé la
"première manifestation de la Lumière-Force
supramentale dans l'atmosphère de la terre".
"La loi du sacrifice est l'acte divin qui fut partout semé
dans le monde à son commencement comme un symbole de
la solidarité de l'univers. Sous l'attraction de cette loi, une
puissance divinisante et salvatrice descend afin de limiter,
corriger et graduellement éliminer les erreurs d'une
création égoïste et divisée. Cette descente, ce sacrifice du
Pourousha, l'Âme divine, qui se soumet à la Force et à la
Matière afin de les animer et de les illuminer, contient la
semence de la rédemption de ce monde d'Inconscience et
d'Ignorance. Car, "en leur donnant le sacrifice pour
compagnon, dit la Guîtd, le Père de tout a créé ces
peuples". En acceptant la loi du sacrifice, l'ego reconnaît
pratiquement qu'il n'est ni seul dans le monde ni chef dans
le monde. Il admet ainsi que, même dans cette existence
tant fragmentée, il y a, au-delà de lui-même et derrière ce
qui n'est pas sa propre personne égoïste, quelque chose de
plus grand, de plus complet, un Tout divin qui exige de lui
subordination et service."
(La Synthèse des l'aga, V o l . I, p. 155)
Douce Mère, que veut dire le "sacrifice au Divin" ?
C'est le don de soi. C'est le mot que la Guîtâ emploie pour
le don de soi.
Seulement, le sacrifice est mutuel, c'est ce que Sri
Aurobindo dit au commencement : le Divin s'est sacrifié
dans la Matière pour réveiller la conscience dans la Matière,
qui était devenue inconsciente. Et c'est ce sacrifice,
ce don du Divin dans la Matière, c'est-à-dire sa dispersion
dans la Matière, qui légitime et rend obligatoire le sacrifice
de la Matière au Divin; parce que c'est un seul et même
mouvement de réciprocité. C'est parce que le Divin s'est
donné dans la Matière et s'est répandu partout dans la
Matière pour la réveiller à la Conscience divine que la
Matière est automatiquement dans l'obligation de faire le
don de ' soi au Divin. C'est un sacrifice mutuel et réciproque.
Et c'est cela qui constitue le grand secret de la Guîtâ :
c'est l'affirmation de la Présence divine au coeur même de la
Matière. Et c'est à cause de cela que la Matière doit se
sacrifier au Divin, automatiquement, même inconsciemment
— qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, c'est ce qui se
passe.
Seulement, quand on le fait inconsciemment, on n'a pas
la joie du sacrifice; tandis que, quand on le fait consciemment,
on a la joie du sacrifice, qui est la joie suprême.
Le mot sacrifice, en français, a un sens un peu trop
réduit, qu'il n'a pas dans l'original sanskrit; parce que, en
français, le sacrifice implique une sorte de souffrance,
presque un regret. Tandis qu'en sanskrit, ce n'est pas là du
tout; c'est l'équivalent du "don de soi".
Douce Mère, ici il est écrit : "...tous sont joints les uns aux
autres par une secrète Unité."
(La Synthèse des Yoga, Vo l . I, p. 156)
Quelle est cette secrète Unité?
C'est justement la Présence divine.
Parce que le Divin est essentiellement un, et pourtant Il
s'est subdivisé, en apparence, dans tous les êtres, et ainsi Il a
recréé l'Unité primordiale. Et c'est à cause de cette Unité
divine (qui a pourtant l'air morcelée dans les êtres)
que l'Unité est rétablie dans son essence. Et quand on
devient conscient de cela, alors on a la joie de la conscience
de cette Unité. Mais les êtres qui ne sont pas conscients, ce
qui leur manque, c'est la joie de la conscience. Mais la chose
est la même.
Sri Aurobindo dit : l'Unité existe; que vous en soyez
conscient ou non, elle existe, ça ne fait aucune différence en
fait; mais ça fait une différence pour vous; si vous êtes
conscient, vous avez la joie, si vous n'êtes pas conscient,
vous manquez de cette joie.
Mais comment le sacrifice peut-il se faire quand on est
inconscient?
Il se fait automatiquement.
Que vous le sachiez ou non, que vous le vouliez ou non,
vous êtes tous unis par la Présence divine qui, ayant l'air
morcelée, est pourtant Une. Le Divin est unique, il a
seulement l'apparence du morcellement dans les choses et
les êtres. Et parce que cette Unité est un fait, que vous en
soyez conscient ou non ne change rien au fait. Et que vous le
vouliez ou non, vous êtes malgré tout soumis à cette Unité.
C'est ce que je vous ai expliqué je ne sais combien de
fois : vous croyez que vous êtes séparés les uns des autres,
mais c'est une même Substance unique qui est en vous tous,
malgré les différences d'apparence; et une vibration dans un
centre éveille automatiquement une vibration dans un autre.
Alors, il n'y a pas d'effort à faire pour améliorer le
sacrifice, il nÿ a pas besoin de faire un effort?
Je ne comprends pas du tout la conclusion.
Si vous êtes heureux d'être malheureux, c'est très bien,
c'est votre affaire; si cela vous satisfait d'être malheureux et
d'avoir la souffrance et d'être dans la condition d'ignorance
et d'inconscience où vous êtes, restez-y. Mais si cela ne
vous satisfait pas, si vous voulez être conscient et si vous
voulez que la souffrance s'arrête, alors il faut que vous
fassiez des efforts constants pour devenir conscient du
sacrifice et pour faire le sacrifice consciemment au lieu de le
faire inconsciemment.
Tout tourne autour de la conscience, du fait d'être ou de
ne pas être conscient. Et c'est seulement dans la suprême
Conscience que vous pouvez arriver à la parfaite expression
de vous-même.
Mais que l'Unité existe, même si vous sentez tout le
contraire, est un fait auquel vous ne pouvez rien, parce que
c'est une action divine et que c'est un fait divin — c'est une
action divine et c'est un fait divin. Si vous êtes conscient du
Divin, alors vous devenez conscient de ce fait. Si vous n'êtes
pas conscient du Divin, le fait existe, mais simplement vous
n'en êtes pas conscient — c'est tout.
Alors, tout tourne autour d'un phénomène de conscience.
Et le monde est dans l'état d'obscurité, de souffrance, de
misère, de... tout, tout ce qu'il est, simplement parce qu'il
n'est pas conscient du Divin, parce qu'il a coupé la
connexion dans sa conscience, parce que sa conscience est
séparée du Divin. C'est-à-dire qu'il est devenu inconscient.
Parce que la vraie conscience, c'est la Conscience
divine. Si vous vous coupez de la Conscience divine, vous
devenez tout à fait inconscient; c'est justement ce qui est
arrivé. Et alors, tout ce qui est, le monde tel qu'il est, votre
conscience telle qu'elle est, les choses dans l'état où elles se
trouvent sont le résultat de cette séparation et de cet
obscurcissement immédiat de la conscience.
De la minute où la conscience individuelle se sépare de
la Conscience divine, elle entre dans ce que nous appelons
l'inconscience, et c'est cette inconscience qui est la
cause de toutes ses misères.
Mais tout ce qui est, est essentiellement divin, et l'Unité
divine est un fait, vous n'y pouvez rien; toute votre inconscience
et tous vos démentis n'y changeront rien — c'est un
fait, c'est comme ça.
Et la conclusion, c'est que la vraie transformation c'est la
transformation de la conscience — tout le reste suivra
automatiquement.
Voilà, c'est tout.
Douce Mère, quelle est la partie en nous qui s'oppose à tout
renoncement?
C'est comme si tu me demandais : "Qu'est-ce qui est
inconscient en nous?" Mais en fait, tout est inconscient,
excepté le Divin. Et c'est seulement quand on peut s'unir au
Divin que l'on rétablit la conscience vraie dans son être. Le
reste, c'est quelque chose comme un mélange de semiconscience
et de semi-inconscience.
Quelque chose d'autre? Non?
(Se tournant vers un disciple) Oh! sa langue le démange !
Mère, il y a une phrase magnifique ! Ah!
une seule?
"Chaque existence donne continuellement et obligatoirement
de ses propres réserves; ..." et Sri Aurobindo ajoute :
"Et à son tour, toujours, elle reçoit quelque chose de son
entourage en échange de son tribut volontaire ou
involontaire."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 156)
Oui, c'est ce que je viens de dire. Et alors?
On reçoit de son entourage ou simplement du Divin? Oh!
des deux.
Parce qu'il est écrit ici : "... elle reçoit de son entourage".
Oui ! Parce que Sri Aurobindo dit qu'il y a une unité
dans la Matière, une unité dans la Manifestation, une unité
dans la Substance, et qu'il y a nécessairement un
interéchange.
En fait, c'est ce que nous avons dit plus de cinquante
mille fois : que tout est le Divin et que, par conséquent, tout
est UN; que c'est seulement votre conscience qui est
séparée, et qui est dans un état d'inconscience parce qu'elle
est séparée. Mais que, si vous supprimez cette inconscience
et ce sens de la séparation, vous devenez divin.
Mais dans la vie ordinaire, dans son entourage, ce que l'on
reçoit n'est pas toujours ce que l'on donne.
Oh! mais il ne faut pas comprendre les choses d'une
façon si superficielle.
(Un autre disciple) Est-ce que l'inconscience aspire à
devenir consciente?
Non. C'est le Divin dans l'inconscience qui aspire au
Divin dans la conscience. C'est-à-dire que, sans le Divin, il
n'y aurait pas d'aspiration; sans conscience cachée dans
l'inconscience, il n'y aurait pas de possibilité de changer
l'inconscience en conscience. Mais c'est parce que, au coeur
même de l'inconscience, il y a la Conscience divine que
vous aspirez et que, nécessairement — c'est ce qu'il dit —,
automatiquement, mécaniquement, le sacrifice se fait. Et
c'est pour cela que quand on dit : ce n'est pas vous qui
aspirez, c'est le Divin, ce n'est pas vous qui faites des progrès,
c'est le Divin, ce n'est pas vous qui êtes conscient, c'est le
Divin, ce ne sont pas des mots, c'est un fait. Et c'est
simplement votre ignorance et votre inconscience qui vous
empêchent de vous en apercevoir.
(suit une méditation au cours de
laquelle a eu lieu la première manifestation
des forces supramentales)